Le DSM V met en avant désormais les particularités sensorielles. Celles-ci nourrissent activement des réflexions cliniques et la recherche et retiennent l’attention des praticiens dans l’exercice de leur accompagnement, comme cela est mon cas dans ma pratique quotidienne de psychomotricienne depuis plus de 15 ans.
Les théories sur l’intégration sensorielle ont été développées à la fin des années 1960 aux États-Unis par Anna Jean Ayres, une ergothérapeute et Docteure en psychologie puis par ses successeurs.
En France, c’est dans les années 80 que Gilbert Lelord a posé l’hypothèse d’une « insuffisance modulatrice cérébrale » de l’autisme, liant les caractéristiques de ce trouble à des anomalies de filtrage et de la modulation sensorielle, émotionnelle et posturo-motrice. Celles-ci réalisant de véritables « insuffisances modulatrices cérébrales ».
Avant ces années, il semblait difficile pour le corps médical de comprendre ces difficultés sensorielles. Tout simplement car les personnes atteintes d’autisme « voient bien même s’ils n’écoutent pas. Leur sensibilité au tac et à la piqure existe bien même si elle semble parfois et chez un même enfant excessive ou au contraire insuffisante… » Lelord, 1990
D’autres études plus récentes comme celle de Bruneau et al, Gomot et al. mettent en évidence des altérations du fonctionnement de systèmes cérébraux impliqués dans le décodage de l’information sensorielle motrice et émotionnelle. D’autres recherches ont montré l’existence de troubles perceptifs dans l’autisme, notamment au niveau du traitement des informations sensorielles, avec plus particulièrement un déficit de la perception des sons de la parole (Gervais et al. 2004, Tardif, Thomas, Gepner et Rey,2002).
Pour André Bullinger : « La caractéristique des enfants autistes résiderait dans le choix des matériaux qui donnent lieu à une instrumentation. Ces enfants privilégieraient un traitement des flux sensoriels par les systèmes archaïques »
« Les flux sensoriels sont un ensemble de signaux continus et orientés qui sollicitent le systèmes sensoriels archaïques […]. D’une manière générale, un flux peut être caractérisé comme un apport continu et orienté d’un agent susceptible d’être détecté par un système sensoriel. »
Les témoignages des personnes autistes comme Temple Grandin ou Donna Williams aident également à mieux comprendre ces difficultés.
Les données neurologiques sur la perception et le traitement de l’information sensorielle par les personnes avec autisme montrent des particularités au niveau de la vision, de l’audition, du toucher, de l’olfaction, du gout, de la proprioception illustrant, de fait, leurs présences significatives sur le territoire autistique.
De plus, « l’expérience clinique souligne que les personnes dont l’autisme est sévère sont plus vulnérables au plan sensoriel et qu’elles disposent de moins de moyens pour s’accommoder des données brutes de l’environnement. Elles filtrent avec difficultés le bruit, les mouvements ainsi que les déplacements des personnes. On observe alors que leur corps va devenir le réceptacle de ces difficultés, siège d’automutilations, de replis sur soi et d’isolement. » ( S. Recordon-Gaboriaud .)
Le témoignage de Temple Grandin nous confirme cela (1997) : « Les autistes atteints de troubles sensoriels graves ont parfois des comportements d’automutilation, ils se mordent ou se tapent la tête par exemple. Leur perception sensorielle est si déformée qu’il est possible qu’ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils se font ».
« Le monde des autistes qui ne parlent pas est chaotique, flou. Il se pourrait qu’un adulte de faible niveau, qui n’a toujours pas appris la propreté, vive dans un monde sensoriel totalement brouillé. Il n’a probablement aucune idée des limites de son corps, et tout ce qu’il voit, entend et touche lui parvient sous une forme très confuse. C’est sans doute un peu comme s’il regardait le monde à travers un kaléidoscope, tout en écoutant une radio brouillée par des parasites. » (Grandin, 1997).
Les anomalies des modes d’intégration sensorielle sont si importantes chez les jeunes enfants TSA qu’on peut sans doute les considérer comme des marqueurs des premières années.
– Au niveau auditif : Tantôt l’enfant entend trop tantôt il n’entend pas assez. Cela n’a rien à voir avec l’acuité puisque bien souvent les audiogrammes sont normaux. « Certains bruits sont recueillis bien avant qu’une oreille normale puisse les recevoir. L’enfant se fige puis se protège les tympans avec la paume de ses mains lorsqu’un son à peine perceptible est émis. […] Paradoxalement, des bruits forts qui nous font sursauter ne déclenchent aucun malaise jusqu’au moment où une vibration anodine provoque une certaine grimace douloureuse suivie d’une réaction de retrait. Certaines sonorités semblent par contre fasciner. » Lemay M. 2004, P.54-55
« J’ai un système auditif qui fonctionne comme un amplificateur au maximum de sa puissance. Mes oreilles se comportent comme un microphone qui ramasse et amplifie le son. J’ai deux choix : je poursuis l’écoute et me laisse envahir par un déluge de sons, ou je me coupe de la source des sons. Ma mère me disait que j’agissais comme une sourde. Mais les examens d’audition indiquaient que mon ouïe était normale. Je ne peux pas moduler les stimuli auditifs qui m’arrivent. Alors j’ai découvert que je pouvais me fermer à ces sons douloureux en inventant un comportement autistique, rythmique et stéréotypé. […]La peur d’un bruit qui blesse les oreilles est souvent la cause de beaucoup de mauvais comportements et de crises de colère. Quelques enfants autistes vont tenter de briser le téléphone parce qu’ils craignent sa sonnerie. L’anticipation d’un bruit douloureux provoque beaucoup de comportements inadéquats. Ces comportements peuvent se produire des heures avant le bruit lui-même. » Grandin T. 1996
Bullinger rajoute (2004 p. 185) : « […] on peut penser que la chaine habituelle des réponses à un flux auditif ne s’engage pas au-delà de la fonction d’alerte », cette réponse entrainant seulement un recrutement tonique, contrairement aux autres qui engagent un traitement spatial de l’information.
– Au niveau visuel : Les échanges visuels sont rares et parfois impossibles. Le regard est rarement focal. L’exploration d’un objet se fait avec le regard périphérique ne permettant pas l’appréhension d’une forme globale. L’enfant ne semble pas prêter attention à son environnement, et pourtant les déplacements sont repérés.
« La fonction périphérique joue le premier rôle (chez les personnes autistes), le système visuel focal étant instrumenté non pas dans sa fonction d’analyse d’image mais pour optimiser les possibilités de traitement de la périphérie. » (Bullinger, 2004, P. 183)
Guislain 13ans cité par Lemay M., 2004, p.56 : « Te regarder, c’est recevoir des centaines d’indices à la fois. C’est tellement fatigant que je préfère tourner la tête. »
Dans la clinique, on observe que quelques stimuli visuels semblent être préférés : la lumière, les trous, les fissures, les objets qui tournent…
– Au niveau tactile : « Je me sauvais quand les gens tentaient de m’étreindre, parce que l’étreinte provoquait une énorme vague de stimulation à travers tout mon corps. Je voulais bien me sentir réconforter physiquement, mais dès que quelqu’un me tenait, je devenais très nerveuse. Il fallait absolument éviter cette approche, mais la sur stimulation sensorielle entraînait l’évitement.[…] . Les petites démangeaisons et égratignures que la plupart des gens ignorent peuvent devenir des tortures. Un jupon qui frotte devenait comme du papier de verre qui poncerait une peau mise à vif. Le lavage des cheveux était aussi affreux. Quand ma mère me frottait les cheveux, le cuir chevelu me faisait mal. J’avais aussi des problèmes à m’adapter aux nouveaux types de vêtements. Il me fallait plusieurs jours pour cesser de ressentir un nouveau type de vêtement sur mon corps ; alors qu’une femme normale s’adapte au changement du pantalon à la robe en cinq minutes. Même un nouveau sous-vêtement peut me causer des problèmes. J’aimais aussi porter de longs pantalons, parce que je détestais que les jambes se touchent. » (Grandin T., 1996)
« Les réponses aux stimulations tactiles sont paradoxales. D’une manière générale, et cela parfois dès les premiers mois, ces enfants semblent supporter difficilement les effleurements ou les pressions faibles sur leur corps. […] Lorsque le sujet se met à marcher, il évite de poser la plante des pieds sur le sol et se déplace uniquement sur les pointes. » (Lemay M., 2004, p.58)
– Au niveau olfactif et goût: Dans la littérature ceux-ci semblent plus rares ou sont moins étudiés. « Dans quelques cas plus rares, les parents signalent une sensibilité olfactive particulière, l’enfant parvenant à déceler subtilement certaines odeurs tout en en craignant certaines autres. »( Lemay M. 2004 p.60)
– Au niveau proprioceptif : « Chez l’enfant autiste, l’instrumentation porte sur les aspects immédiatement ressentis de la sensibilité profonde et des flux sensoriels, ce qui privilégie l’espace du geste au détriment des effets spatiaux, les traces. » (Bullinger, 2004, p.185) La marche sur la pointe des pieds en est un bon exemple, car elle oblige à une tension musculaire forte pour maintenir le talon loin du sol.
En résumé, il peut exister chez les personnes TSA à la fois une hypersensibilité et une hyposensibilité, plus particulièrement au niveau visuel, auditif et tactile. Cette sensibilité variable entraîne des évitements (fuir, se protéger…), des recherches ou des absences de réaction.
Ainsi les sensations ne semblent pas captées et modulées de la manière que chez les enfants/adultes typiques ; et ne semblent pas non plus intégrées selon les mêmes modalités.
Ainsi, la personne atteinte d’autisme (TSA) semble privilégier un stimulus et se fixe sur celui-ci sans réussir apparemment à mettre en jeu simultanément plusieurs modalités d’intégration sensorielle.
« Il (l’enfant autiste) est alors plongé dans un univers clos où le trop et le manque se mêlent inextricablement. Cet emprisonnement se joue à plusieurs niveaux : absence de modification dans la manière de capter ; défaut de modulation du stimulus dont le sujet ne change ni l’intensité ni la qualité ; désintérêt pour les autres apports sensoriels afin de bâtir une structure globale ; sélection des mêmes stimuli avec la mise en place de barrières pour que certaines sensations ne puissent l’atteindre ». (Lemay M.)
Il semble ainsi important de prendre en compte ces particularités lors des séances de psychomotricité mais aussi de mettre en place un travail de rééducation/thérapie afin de limiter les difficultés engendrées par ces particularités.
Le psychomotricien formé utilisera des tests standardisés afin de comprendre le fonctionnement de votre enfant et vous fera emplir un questionnaire de profil sensoriel (Dunn) ainsi qu’une l’échelle des particularités sensori psychomotrices (EPSA); ces deux phases permettront de mettre en évidence les éventuelles particularités sensorielles de votre enfant.
Le psychomotricien formé à ces particularités et à son traitement pourra également mettre en place des stratégies de compensation et prodiguer des conseils à l’école et à la famille.